MEURTRIÈRE

Un corps de femme nu, allongé sur le dos. Seuls sa chair, ses muscles, ses pleins et ses déliés se découpent dans l’obscurité qui l’entoure. Son visage est invisible. Lentement, au rythme de souffles sourds et grondants qui composent la bande-son, apparaissent d’autres corps, au visage toujours masqué, à la nudité toujours exhibée. Au ralenti, les bras, les jambes, les ventres, les bustes s’entrelacent, se heurtent, se complètent, se soumettent ou restent immobiles dans un cadre résolument fixe et vertical. Le mouvement des plans enchaînés les uns aux autres, lancinant et continu, ne cesse pas tandis que l’atmosphère se fait menaçante, anxiogène. Poussé dans ses ultimes retranchements, le cinéma se fait pure expérience sensorielle, ainsi qu’il l’a toujours été chez Philippe Grandrieux (Un lac). Second mouvement du triptyque performatif Unrest, après White Epilepsy, que le cinéaste français a voulu consacrer à l’inquiétude, Meurtrière est un saisissant tableau vivant, évoquant Goya ou Francis Bacon, habité de façon singulière par les corps de quatre danseuses: Émilia Giudicelli, Vilma Pitrinaite, Hélène Rocheteau et Francesca Ziviani. Gracieux et brutal, entre l’obscène et le mystique, monstrueux et sublime, il est une hypnose aussi déstabilisante que fascinante.

Helen Faradji